Ce livre, comme pas mal de grandes choses, est né d'un accident. Certains diraient du hasard, d'autres de la nécessité : une main salie essuyée sans le savoir sur le visage, un coup d'oeil lassé dans le miroir et... le choc. Sur la peau, la révélation. Venue du tréfond, une vérité imprimée sur la chair à nu, vite capturée par la photographie, pour ne pas perdre cette parcelle d'être. Cet instant fugace a tout déclenché. C'est ainsi qu'est né le projet T'es toi. A des anonymes, la photographe Sandrine Mulas a tendu ses couleurs : noir pour les peaux blanches, blanc pour les peaux noires, pas de fioritures, un révélateur. Et sur la pellicule sensible de leur visage, leur a juste demandé de faire apparaître ce qu'ils étaient, à cet instant. D'être eux. Tristesse, allégresse, empressement joyeux ou panique soudaine... Sandrine Mulas a tout vu passer dans les yeux de ses «modèles». Car dans notre société accablée par les images, par l'image que l'on doit donner aux autres, par l'image que l'on veut que leurs yeux voient, images virtuelles que l'on communique à n'en plus pouvoir, image officielle qui dissimule, il n'y a plus de place pour être soi. Qui nous le demande, d'ailleurs ? Plus personne... Sauf cette artiste qui s'efface, vous demande de l'oublier et juste un instant devant le miroir, de réfléchir à ce que l'on est... Qu'ils sont beaux dans leurs vérité, tous ces visages ! Anonymes, oui, mais sûrement pas anodins. Derrière le masque, ils se mettent à nu. Et dans la lumière crue, le noir saturé, le blanc aveuglant, ils s'offrent sans complexe, sans mensonge, sans illusion ni séduction. Ils baissent les armes mais n'ont jamais été aussi forts, ni aussi troublants. Car cette intimité dévoilée se fraie un chemin dans nos cuirasses blasées et soudain, l'un ou l'autre de ces visages nous dit : je suis comme tu es. Toi qui se tait, toi que l'on tue, je suis toi... T'es toi !